Au quotidien nous faisons recevons une multitude de signaux, agissant sur des biais cognitifs que nous avons accumulés au cours des millénaires d’évolution. Aujourd’hui ces mécanismes sont utilisés – parfois à notre insu – pour nous pousser à faire une action ou à ne pas en faire.
Récemment, la Commission Européenne a d’ailleurs recadré le célèbre site de réservation d’hôtels Booking.com pour ses pratiques abusives sur la présentation des prix et des offres. Comme vous le savez, cette plateforme de réservation de chambre d’hôtel s’appuie sur notre aversion à la perte en présentant des offres virtuellement limitées afin de nous pousser à agir.
Comment utiliser ces outils de nudge marketing – incitations douces à l’action – pour influencer les comportements en respectant le règlement relatif à la coopération en matière de protection des consommateurs (CPC)?
Pourrais-tu nous dire qui tu es Antoine (ta bio) ?
En 2010 j’ai quitté ce groupe pour créer une société de conseils en marketing et accompagnement à la mutation des modèles économiques.
En 2013, j’ai créé Heart Never Lies avec des chercheurs Lillois, nous avons mis au point un système de mesure objective de l’intensité émotionnelle chez les êtres vivants à partir de la variabilité cardiaque. J’ai quitté cette société en novembre 2018.
C’est depuis cette expérience que j’ai pu me former avec des chercheurs et que j’ai notamment pu travailler dans les domaines de la psychologie, les neurosciences et le neuromarketing avec passion et engouement.
Aujourd’hui j’ai deux activités principales, des missions en développement commercial et le développement d’Ocytocine dealer qui a pour objet la tenue de conférences ou de missions de conseils en neurosciences appliquées, neuromarketing et psychologie appliquée au monde de l’entreprise.
Pourrais-tu nous donner une explication pour les néophytes du marketing comportementales, d’où vient le terme nudge marketing ?
Nudge qui veut dire « coup de pouce » n’est ni plus ni moins qu’un ensemble d’astuces, des tournures de phrases ou de mots dont on se sert pour arriver à faire accepter sans contrainte à un tiers, le choix qui nous convient le mieux.
Parmi ces nudges on peut retrouver le fameux sticker de la « mouche » au fond des urinoirs, une phrase de désabonnement dans une opération d’e-mailing, ou encore une assiette plus petite dans les selfs « à volonté ». Les nudges utilisent souvent les ressorts de la gamification (jeux et surprise), la gratification de l’égo ou la potentielle honte résultante de l’action. (conséquences sociales)
Comment peut-on changer les comportements grâce au nudge ? y a-t-il des attitudes récurrentes sur lesquelles on peut agir ?
C’est tout un art ! les techniques de génération de nudges s’appuient sur les connaissances du fonctionnement du cerveau et des biais cognitifs. Pour faire court, nous savons que notre cerveau privilégie ce qui est simple à comprendre, ce qui lui procure du plaisir et qui lui assure un succès auprès de son entourage.
Pour faire un bon nudget il e faut pas oublier de prendre en compte les biais cognitifs. Les biais cognitifs sont des résurgences de notre cerveau de primate, qui nous permettait en pleine jungle et sans armes efficaces de survivre et de pérenniser notre descendance. Notre environnement sécuritaire a évolué plus vite que notre cerveau, et nous avons gardé de vieux réflexes de survie, mais irrationnels dans nos conditions de vie actuelles.
Il y a environ 50 biais cognitifs répertoriés, les plus connus et ceux que l’on observe le plus souvent dans notre vie quotidienne sont les suivants :
- L’aversion à la dépossession, qui nous rend incapables d’estimer de façon rationnelle un bien qui nous appartient.
- L’effet de Halo, qui est une action réflexe qui nous fais juger , de façon irrationnelle, une personne que nous voyons pour la première fois, avant même qu’elle ait ouvert la bouche… je reste confiant ou je me méfie.
- Le succès viral des réseaux sociaux est basé sur un biais cognitif, nous ne pouvons pas nous empêcher de partager ce qui nous émeut.
Les possibilités de créer des nudges sont infinies, c’est la créativité et la prise en compte du contexte qui fera un bon nudge.
Le nudge marketing nait des études de thaler en 2008. Il tire son inspiration de la recherche menée dans les années 70 par les pères fondateurs de l’économie comportementale Kahneman et Tversky. Selon toi, qu’ont apporté ces études sur le nudge marketing aux recherches sur l’économie comportementale ?
Je dirai que les études de Thaler ont permis de remettre au goût du jour ce que l’on sait déjà depuis l’antiquité et peut-être même avant cette période.
Le premier ouvrage traitant de nudge c’est le Panchatantra, un recueil de contes et de fables produit au 3e siècle avant notre ère. Il y a au plusieurs versions de mises à jour, dont la plus connue chez nous est celle des des fables de la Fontaine.
Certains nudges sont décrits dans ces véritables traités du comportement humain.
Quoi de nouveau depuis 2008 dans le nudge ? Il y a des choses qui ont évolué avec le numérique ?
Les fondamentaux sont invariants, nos comportements réflexes sont les mêmes depuis très longtemps. Le numérique amplifie les conséquences des nudges. Ce qui pourrait nous faire évoluer c’est la connaissance des mécanismes de nudge et donc notre capacité à y réagir en conscience, grâce à notre cortex cérébral surdimensionné.
À la base, les nudge ont pour vocation d’inciter des actions pour le bien collectif. Comment faire pour ne pas tomber dans le piège de la manipulation ?
D’après moi les nudges sont plutôt faits pour que leurs émetteurs parviennent à leurs fins.
Nous sommes plutôt dans un processus de séduction que de manipulation, l’être humain est par essence séducteur, la grande majorité de nos comportements sont issus d’une volonté de plaire à quelqu’un ou à un groupe. Donc pour ne pas tomber dans le piège de la séduction, il faut juste se former sur les réactions comportementales, ça vous permettra de mieux comprendre vos propres réactions et celles des autres.
Quand on créer des produits digitaux, on s’attèle à bien comprendre ses utilisateurs et leurs parcours dans l’utilisation du dit produit. Tu penses que l’on pourrait coupler les deux approches pour avoir des dispositifs qui convertissent plus ? Si oui comment ?
Oui j’en suis sûr, en analysant les comportements des utilisateurs, puis en expérimentant de nouvelles versions assorties de leurs nudges pour garder les meilleures versions. En étude quantitative, L’analyse des comportements est plus intéressante qu’un questionnaire d’usage, alors que pour une étude qualitative, les entretiens semi-directifs bien menés seront d’une efficacité redoutable.
Tu as des exemples de dispositifs numériques qui utilisent bien ces approches et qui ont su trouver le bon équilibre pour générer l’action ?
Ce sont de toute évidence les géants du web les meilleurs exemples les GAFAM, NATU et BATX.
D’ailleurs la plupart des dirigeants de ces firmes ont étudié la psychologie et l’économie comportementale. Les mécanismes de nudge sont aujourd’hui partout dans nos vies, y compris notre vie digitale.